En créant ce mot-valise, mon intention était de mettre l’accent sur la prédominance absolue du jeu dans la formation et l’exercice de l’intelligence. Des intelligences au pluriel tant celle-ci se décline sous sa forme émotionnelle, cognitive, intellectuelle et sociale.
In utero, protégé par le placenta et le liquide amniotique, le fœtus s’est aménagé un monde douillet rempli d’interactions qui accompagnent son développement : sons, intensités lumineuses et goûts lui parviennent et le distraient. Il joue avec le cordon ombilical, fait des galipettes, suce son pouce et tente d’attraper ses pieds. Il s’essaie au monde sensoriel mais de l’intérieur.
Tout naturellement, à sa venue au monde, il poursuit ses expériences sensorielles de l’extérieur cette fois. Il suit du regard, vagit et interagit avec sa maman, il attrape et serre fort tout ce que son regard saisit comme tout ce qui passe à sa portée, il hume et goûte goulûment, écoute avec étonnement ; c’est ce que l’on nomme les comportements de proximité (Bowlby). Même à l’extérieur, l’environnement de ses trois premiers mois se résument à une niche, la niche sensorielle qu’il partage quasi exclusivement avec sa maman. Au fil des mois, Bébé explore de tous ses cinq sens déployés ; et explorer c’est découvrir son nouveau terrain d’expérimentation, donc de jeu.
Car pour Bébé, tout en ce monde est à découvrir pour la première fois. Tout y est tour de magie, surprenant, étonnant ! Et il ne s’en prive pas !
“ Pour s’exprimer pleinement, la ludo-intelligence a besoin d’amour, tout simplement. L’amour aide à se mouvoir, l’amour est émouvant „
“ Ils ont le désir de savoir, de comprendre et peuvent ainsi faire quelque chose du chaos extérieur de données. Ils parviennent à l’abstraction sans attendre pour cela les bancs d’écoliers ! „
Alison Gopnik, Pr de Psychologie cognitive & de Philosophie à l’Université de Berkeley
A cet égard, le tout petit est un grand scientifique : Bébé interroge le monde physique, biologique et mathématique. Il passe tout son temps à collecter des données, à colliger ses observations, à conduire des expériences, à entraîner son raisonnement hypothético-déductif et conserve tout cela dans les replis de son cerveau en formation (matière grise). Et ça lui plaît ! Il en redemande, ça l’amuse, il joue !
Les expériences scientifiques menées notamment sous neuro-imagerie cérébrale nous prouvent que l’enfant de 6 mois émet des hypothèses physique et mathématique. Des yeux, il compte déjà, et à sa façon fait des statistiques, ce qui le conduit à réviser son jugement sans cesse.
Pour s’en convaincre, portons-leur plus d’attention.
Entre 6 et 9 mois, se mettent en place les prémices du langage. Car celui-ci se prépare bien en amont de la production même de mots et de phrases. Très actif, Bébé réagit à la prosodie, c’est-à-dire aux tons et intonations de vos phrases, ce qui est la musique même du langage.
Au reste, le neurologue & neurophysiologiste Pierre Lemarquis (voir Ressources) soutient que, dans l’histoire de notre évolution, la musique a précédé le langage humain et a permis à ce dernier de naître.
Bébé connaît donc les mots usuels et y réagit. Par son babil, qui au fil des semaines se sophistique, il imite les phrases de ses proches et y répond. La conversation s’engage ; chaque nouveau son l’interpelle, chaque mot prononcé est en passe, pour ce Champollion en herbe, d’être décryptés par sa jeune intelligence que fait émerger le câblage tout neuf de son cerveau.
Autour de ses 8 mois, Bébé raisonne en termes de probabilités et sait discerner les actions suivies d’effet.
A ce titre, il est souvent plus ludiquement-intelligent de découvrir, voire de faire semblant de découvrir les multiples possibilités d’un jeu ou d’un jouet, avec votre bébé, plutôt que de lui en enseigner directement le fonctionnement ou les règles. Dans le second cas, il apprend certes, mais en focalisant sur votre enseignement, il réduit le champ de ses propres découvertes et de ses investigations imaginatives. Adulte, en nous spécialisant, nous avons appris à délimiter notre champ d’observation, nous discriminons par rapport à nos connaissances acquises ; alors que Bébé, lui, tout l’alerte et le motive !
Voilà pourquoi le renfort de l’adulte, du parent, des proches qui prennent soin de lui est si important ! Capital même ! Lorsque l’on aime jouer, on aime aussi être encouragé. De l’adéquation des demandes psycho-affectives du bébé et des réponses de l’adulte dépendent la qualité et l’activité de cette ludo-intelligence en arborescence.
La ©® signifie bien que c’est l’aspect amusant, ludique et joyeux qui permet les acquisitions, soutient les efforts, et donc offre au cerveau du jeune enfant le temps et la capacité à mûrir.
Peu à peu, l’aptitude de l’enfant à jouer évolue ; son jeu rencontre le jeu de l’autre. Dès lors, celui-ci lui sert également à distancier ce qui l’émeut ou le trouble. Par le jeu, l’apprentissage fortuit, l’enfant essaie et exerce ses comportements, ses émotions, ses sentiments, ses connaissances et ses habilités.
Ses neurones miroirs le guident à tenter tout ce qui est amusant à imiter.
A ce jeu-là, il prend sa place dans le monde. Il prend son rôle dans le jeu et devient Je : il se socialise